Christine Deleuze, ONF : « chaque année, environ 14% des émissions françaises de gaz à effet de serre sont absorbées par nos forêts »

Christine Deleuze, Chargée de R&D modélisation, département Recherche, Développement et Innovation de l’Office National des Forêts, explique le rôle des forêts dans l'absorption du carbone.

En quoi les forêts sont-elles des puits de carbone ?

Christine Deleuze : Les forêts sont des puits de carbone directs et indirects. Leur croissance est assurée par le processus de photosynthèse, qui transforme le carbone atmosphérique en matière carbonée. Ce processus contribue donc à l’atténuation du changement climatique et alimente le cycle du carbone du système forestier. Une partie de ce carbone sera par ailleurs stockée dans le biomatériau bois. Ce stockage dans un matériau renouvelable comme le bois explique alors l’effet indirect supplémentaire de puits de carbone que peuvent jouer les forêts. Si la société utilise plus de bois (charpentes, meubles, parquets, bardages, etc.), un stockage additionnel de carbone en résultera, mais un effet bien plus important sera apporté par substitution de ce bois à des matériaux plus énergivores (PVC, béton, aluminium, acier, etc.). De plus, la polyvalence de ce matériau lui permet d’avoir plusieurs usages au cours de sa vie. Par exemple un bois de charpente pourra être réutilisé en panneau, puis brûlé en fin de vie. Il cumule ainsi les avantages de substitution.

Quelle quantité de carbone est absorbée chaque année par les forêts françaises ?

Les forêts de métropole, dans leur biomasse aérienne et racinaire, absorbent en net chaque année autour de 70 millions de tonnes d’équivalent CO2 (chiffres CITEPA 2014), ce qui correspond à environ 14% des émissions annuelles nationales de gaz à effet de serre. Ce chiffre ne tient pas compte de l’évolution du carbone des sols forestiers que le réseau RENECOFOR a permis récemment de mettre en évidence, ainsi que l’évolution du bois mort. Ces puits de carbone supplémentaires pourraient être du même ordre de grandeur mais nécessitent des travaux de recherche complémentaires pour bien en comprendre la dynamique. En même temps des économies de carbone sont réalisées en utilisant des produits bois en substitution de produits énergivores, estimées actuellement à 27 millions de tonnes d’équivalent CO2.

Quel rôle la certification forestière joue-t-elle ?

La certification forestière joue un rôle majeur dans la vérification d’une gestion durable. Elle garantit par ailleurs au consommateur de bois ou de produits à base de bois que son acte d’achat ne contribue pas à accroître la dégradation des forêts ou la déforestation, mais s’inscrit bien dans un processus de récolte de bois dans une forêt équilibrée et régulièrement renouvelée, en veillant au maintien des autres services de l’écosystème forestier. L’utilisation de bois issu de forêts certifiées contribue alors à la limitation des émissions de gaz à effet de serre en assurant le stockage de carbone en forêt et le maintien de la production.

Quels sont les grands axes de la R&D de l’ONF ?

Le département Recherche, Développement et Innovation (RDI) de l’Office a organisé son activité en 2010 autour de quatre grands axes : adapter la gestion forestière au changement climatique, accroître la disponibilité et l’utilisation de la biomasse forestière pour les produits à base de bois et l’énergie, élargir et conforter les bases de la gestion durable multifonctionnelle, développer des produits et procédés innovants pour des marchés et demandes sociales en évolution.

Le programme des cinq prochaines années est en cours de construction, mais l’adaptation au changement climatique y prendra une place encore plus prégnante, aussi bien pour maintenir la forêt et ses services à la société, que pour participer à l’effet d’atténuation du changement climatique. L’ONF-RDI est partenaire de plusieurs projets de recherche sur l’adaptation et l’atténuation, sur le renouvellement des peuplements, sur le maintien de la fertilité des sols.

Quelles sont, selon vous, les priorités de la COP21 ?

La première étape est d’adapter au maximum la forêt aux changements à venir : détecter les zones de vulnérabilité, anticiper les dépérissements et risques accrus de dégâts (sanitaires, incendies, tempête) pour rendre la forêt plus résistante et résiliente. Une partie de cette adaptation passera par une aide aux gestionnaires pour leur permettre d’augmenter la diversité génétique (essences, variétés, provenances) et pour veiller au bon déroulement des phases de renouvellement, rendues plus sensibles et cruciales.

En synergie ou au moins en parallèle, des options d’augmentation de la production doivent être pensées et orientées vers des produits à plus forte valeur de substitution. Ces choix doivent être réfléchis en même temps que les choix de société et donc ensuite de filière. La priorisation des choix nécessitera des expertises fines utilisant les derniers travaux de recherche, mais aussi des sources de financement pour aider à transformer les peuplements quand cela sera nécessaire.

La COP21 aura aussi un rôle essentiel de sensibilisation et de vulgarisation. Le grand public doit s’approprier ces enjeux et les solutions possibles : il doit comprendre et accepter les adaptations de la forêt, qui nécessiteront parfois des transformations de peuplements (plantations de nouvelles essences) et un recours croissant au bois en tant que matériau renouvelable (pour la construction par exemple).